Marc Upson, le dernier indépendant couleur à Paris ?
Photo Paolo Roversi
Le développement photo indépendant concède à la quantité une disponibilité et une adaptabilité que les photographes professionnels savent trouver chez Marc Upson. Musicien, photographe, tireur argentique tenace malgré les temps qui courent, il montre qu'en étant peu gourmand on peut choisir de travailler à sa manière et en prenant son temps.
Depuis combien de temps êtes-vous tireur indépendant ?
Je suis à mon compte depuis début 1997. Et dans ce lieu-ci, ça fait neuf ans.
Êtes-vous le dernier labo couleur indépendant à Paris ?
Pour ce qui est du négatif, il n'y en a plus d'autres en activité sur Paris, à ma connaissance. Sauf peut-être, et je ne le connais pas personnellement, Benny Karma mais je n’ai pas eu de nouvelles depuis un moment. Il est plus âgé que moi, peut-être autour de la soixantaine, et était tireur indépendant. Il développait aussi les films à la main, à bain perdu. C’est quelque chose dans lequel je ne me lancerais pas. Je suis trop attaché à la qualité de développement d’un film, et pour moi ce n’est pas un gain de qualité de le développer autrement qu’à la machine. Le développement parfait d’un film, c’est la constance et la propreté, pas l’adaptabilité à des circonstances particulières. A une autre époque, on développait couramment les films E6 à la main, pour pouvoir faire des corrections chromatiques. Sinon, pour le tirage de diapo sur Cibachrome (pardon, Ilfochrome), Roland Dufau est toujours en activité (tant qu'il a du papier). Il faut en profiter, d'ailleurs. Après lui, ce sera probablement fini...
Il y a bien sûr d’autres moyens de faire des tirages couleurs autrement que chez un indépendant, dans des labos un peu plus importants. Il y a toujours des tireurs argentiques chez Publimod, Picto ou Dupon. Ça se réduit mais il y a toujours des gens pour faire ce travail. Ce qui distingue un labo comme le mien, c’est la disponibilité. Je n’ai pas de supérieur hiérarchique, on peut tout à fait venir chez moi avec un rendez-vous à dix heures le matin pour deux tirages, bien s'entendre, discuter deux heures, aller déjeuner ensemble, discuter encore deux heures puis s'occuper des tirages pour quitter le labo vers dix huit heures...
C’est ça l’esprit indépendant en fait ?
Oui, certains jours je passe la journée entière avec un photographe
pour faire deux tirages, certains autres, j'en sors cinquante dans la
journée et je finis très tard. Pour moi, c’est essentiel de pouvoir
s'adapter, voire travailler le week-end, s'il le faut.
Fred Jourda est tireur couleur chez Picto, je le connais, il est très
bon et très sympa, mais il a sûrement des impératifs liés à sa
hiérarchie. Aussi bon qu’il soit, il est quand même payé pour faire des
heures et doit rendre des comptes…
Je me suis aussi retrouvé avec des clients qui se foutaient de cette
disponibilité que je propose. A l’extrême, j’ai même eu des clients que
je n’ai jamais vus. A une époque je travaillais avec un allemand, il m’a
approché par téléphone, il a pris rendez-vous pour un boulot. J’ai reçu
des bandes de films par coursier, sans planches contact, sans pola,
sans même une indication. J’ai appelé pour demander des précisions :
"tirage plutôt chaud, froid, clair, dense ? Vous aimez des choses très
alignées, ou alors qu’on les promène et qu’on les tire dans tous les
sens ?" Je n’avais que le contact de son assistant qui n’avait aucune
consigne, le photographe était aux Maldives en train de shooter des
maillots de bain. Il avait juste demandé "des bons tirages". Sa logique à
lui, je l’ai appris par la suite, c’est qu’il est photographe, pas
tireur, et que chacun a son métier.
J’ai travaillé longtemps avec un autre photographe allemand, Heribert Brehm, spécialisé aussi dans l’édito et la mode. Il remplissait les pages mode de Gala, magazine pas très branché, mais ce gars était une pointure. Il avait exactement ce rapport avec moi, il faisait confiance à la qualité de mon travail, et quand je lui posais des questions, neuf fois sur dix il me disait que ce n’était pas lui le tireur et qu’il laissait au professionnel le soin de faire son travail en toute liberté. Il voulait juste des bons tirages. C’est arrivé au moment où je commençais à prendre plus d’assurance dans ce que je faisais, et selon les séries, j’essayais des styles différents. Dans certains cas, je faisais des tirages très clairs, dans d’autres je donnais une tendance très lourde, très profonde, ou très colorée. J’essayais de faire comme si c’était mes propres photos. Parfois, j’appelais le lendemain de la livraison, un peu inquiet de n’avoir pas eu de nouvelles (on aurait pu imaginer le photographe pas content). Pas de problème, tout était "super", quelle que soit l'option que j'avais choisie.
Ce que je pense, c’est qu'il n’y avait aucune négligence de sa part. Si j’avais rendu un boulot avec une certaine direction (un rendu particulièrement dense par exemple) et qu'un des tirages n'était pas raccord avec les autres, il aurait décroché son téléphone pour me le dire. Mais, en général, travailler en présence du photographe est quelque chose que je trouve assez crucial, même si ça dépend quand même de la personnalité des gens.
Ma vision basique de mon travail est la suivante, surtout en ce qui concerne mes images : débarrasser le tirage de toute dominante et de trouver la bonne densité. J’ai six directions possibles de dominantes, en m’adaptant à chaque photo pour trouver un point d’équilibre. Autour de cette contrainte, il faut restituer la vision du photographe, trouver une direction artistique, donner une uniformité à l'ensemble.
Ces photographes-là sont revenus suite à cette première expérience ?
Pendant des années. Avec celui-là en particulier, c’était une vraie collaboration et un vrai plaisir d’avoir travaillé avec lui, très compétent, très respectueux et clairement satisfait de travailler avec moi. On s’était déjà rencontré à l’époque où je travaillais chez Granon, ça ne c’était pas super bien passé d’ailleurs. Mais quand il m’a fait bosser, alors que j’étais indépendant, ça s’est passé de manière exemplaire.
Que faisiez-vous avant d’être indépendant ?
Au départ, j’étais photographe, amateur éclairé disons, et mon tireur et ami proche était Michel Granon. Je travaillais dans l’architecture, sans être architecte. A un moment, je n’avais plus de travail et Granon, qui exerçait ce même métier de tireur indépendant que je fais aujourd’hui, après être passé par beaucoup de grands labos parisiens, était coincé et arrivait au bout de ce qu’il pouvait faire tout seul. Il travaillait 16 heures par jour et ne pouvait pas faire plus sans s'agrandir. Il travaillait même la nuit, c’était très impressionnant ! Il m’a donc proposé de travailler avec lui, de prendre un local à deux et de m’apprendre à développer les films. C’était en 1993 et ça a duré trois ans.
Nous avons monté le laboratoire de la rue Daguerre; lui travaillait pour rentrer de l'argent et moi je construisais le labo avec des ouvriers. Nous y avons installé une chaine de développement C41, ce qui était la chose à faire pour gagner de l’argent à l’époque. Par exemple, pour une série de huit ou dix pages dans le magazine Elle, il y avait dix mille francs de facture de labo : sept mille francs de développements-contacts et trois mille de tirage. Comme développer des films, ce n’est que de la technique, il faut juste faire les choses parfaitement. C’est quelque chose que je faisais de manière très poussée et que je maitrisais très bien, mais il n’y a pas grand chose d’artistique là-dedans. Bien sûr, on peut décider de “pousser” ou de "retenir" les films etc, mais globalement, une fois qu’on est calé, on envoie tout… Dans les grosses journées, on en sortait trois ou quatre cents !
“Je suis l'interface entre le photographe et le papier.”
Au bout des trois ans, pourquoi vous êtes-vous séparés ?
Ça ne s’est pas super bien terminé parce nous ne nous entendions plus et qu’il aspirait à d’autres choses que moi, il voulait grossir, embaucher plus d'employés. De plus, nous avions une féroce divergence de vue en ce qui concerne la fonction même du tireur. Ma vision à moi est de me rapprocher de ce que veut mon client, de m’adapter, même si le résultat n'est pas à mon goût. Je suis l’interface entre le photographe et le papier. S'il veut que la peau soit verte, ça n'a pas à me plaire... Dans ce cas, j'apporte tout de même une expertise technique, visant à garder le tirage dans des limites de l'exploitable, qu'il puisse être "lu" dans un book, derrière un verre ou par un scanner. Dans certaines situations, j’ai 100% d’autonomie sur ce que je veux faire. Dans certains autres cas, il m’est arrivé de travailler ici avec des photographes qui avaient l'habitude de faire eux-mêmes leurs tirages. On discutait ensemble et si je proposais de rajouter par exemple un peu de bleu, le bonhomme pensait lui qu’il fallait plutôt un peu de cyan. Certains sont capables de m’apprendre mon métier.
C’est difficile à supporter ça ?
Non, il n’y a rien qui soit difficile à supporter, à condition que
les gens parlent poliment. Je considère qu’il y a toujours à apprendre,
surtout de personnes compétentes.
En Angleterre, aux États-Unis et dans les pays du Nord de l’Europe, on
peut louer un labo couleur, ce qui n’a jamais été le cas en France
jusqu’à ce que Self Color le propose il y a dix ans. Ce genre de
clients, si j’avais accepté, auraient loué mon labo et se seraient
débrouillés tout seuls. Mais ici c’est chez moi, j’y suis tout seul et
j’y mets aussi tout un tas de bazar. Tant qu’à venir et ouvrir les
lieux, autant que je fasse les tirages… En plus ça va aussi plus vite.
Les gens qui font leurs tirages eux-mêmes et dont ce n’est pas le
métier, ne vont pas vite. Ils n’ont pas la même logique. Je peux
consacrer tout le temps qu'il faut aux gens et refaire dix fois un
tirage, mais ce laboratoire a aussi des contraintes économiques, donc ça
doit être fait avec raison. Je ne peux pas perdre mon temps à refaire
dix fois un tirage inutilement, juste pour satisfaire quelqu'un qui ne
saurait pas ce qu'il veut ou qui ne comprendrait pas les limites
techniques. Ce qui a parfois occasionné des conflits parfois avec
certains photographes : pour eux, lorsqu'un tirage sort de la machine,
il est presque forcément mauvais et doit être refait en apportant des
choses en plus ou en moins. Alors que, moi, je sais ce que je fais,
c’est volontaire et maîtrisé. Si je peux ne faire qu’un tirage et qu'il
soit le bon, ça me va. Et j’ai la chance de travailler depuis longtemps
avec des gens qui adhèrent à cette philosophie, et qui acceptent qu’un
tirage sorte et qu’il soit bon du premier coup.
Quelle est votre clientèle ?
Les photographes sont mes commanditaires, et les magazines sont mes clients. Il arrive aussi que chacun soit client indépendamment de l’autre. Dans tous les cas, je travaille beaucoup pour l’univers de la mode, ou les tirages d’art lorsque ça se présente.
La commande argentique est donc toujours d’actualité ?
Oui, elle se fait encore. Ça parait étonnant mais c’est archi-vrai, dans certains cas, c’est moins cher que le numérique. Dès que l'on travaille en moyen format numérique, la station de shooting coûte environ 1500€ la journée, et au final, pour toutes ces images, il va falloir passer des heures coûteuses sur un ordi pour créer un rendu, alors qu’en argentique ça se fait "presque" tout seul. De plus, l'ordi induit beaucoup de travail de retouche que l'on n'aurait souvent pas eu idée de faire en argentique. Il faut alors se brider, ne pas se laisser déborder par l'outil. Pour moi, c'est une distraction inutile.
Avec le numérique, en photographie comme en musique, si on a des yeux ou des oreilles incroyables et qu’on y passe un temps énorme, on peut faire des choses qui tromperaient et laisseraient penser que c’est de l’analogique ou de l’argentique. Tout le monde n’a pas ces compétences, et c’est pourquoi ce rendu et cette qualité peuvent être accessible à moins cher si le travail est fait directement en argentique.
Il peut aussi être infiniment plus pratique d'alléger la logistique,
en conditions extérieures difficiles, un shooting pouvant même
nécessiter un groupe électrogène. En numérique, il y a aussi la gestion
des fichiers, disques durs énormes, sauvegardes redondantes
obligatoires, etc...
Ce qui souvent fini par faire la distinction, c’est la philosophie. Il y
a des gens, encore, qui n’ont pas besoin de voir la photo au dos de
leur appareil, qui ont du savoir-faire et de l’expérience, et qui se
servent de l’argentique à des fins professionnelles.
Vous avez aussi un scanner, donc vous proposez des fichiers numériques ?
Oui, vu que les magazines, pour beaucoup, ne peuvent ou ne savent
plus scanner un tirage. Ils n’ont plus ni le personnel qualifié pour le
faire, ni le matériel. Ça nous permet de continuer à travailler en
argentique tout en finissant avec un fichier.
Tout ce qui est production photographique à destination de la presse,
tout ce qui est éditorial, implique nécessairement que ce soit un
fichier. Avant, c’était le travail des magazines, maintenant j’ai ce
scanner A3 dans une chaîne calibrée, ce qui permet de fournir la
prestation.
Vous avez des clients qui ont essayé de faire de la même manière des photos argentiques en numérique et qui en sont revenus ?
Tous mes clients. Ce sont des pros, c’est leur métier, donc ils ne peuvent pas refuser d’utiliser les deux technologies, sinon, ils perdent le job. Dans certains cas, le directeur artistique a besoin de voir les photos tout de suite sur le plateau, et c’est non négociable. Ils peuvent encore venir me voir ensuite pour faire de la chromie sur les fichiers. Ou carrément faire des tirages argentiques de référence. Il suffit de shooter un film par visuel.
Aujourd’hui, vous vivez correctement de cette activité ?
Ça fait trois ans que je ne me suis pas payé ! Par contre j’ai des
réserves, qui viennent de l’époque ou j’ai bien travaillé, entre 2000 et
2003. Je n’ai pas pris cet argent, je me suis payé raisonnablement et
du coup, je peux continuer à me payer pareil aujourd’hui. Je suis en
équilibre sur dix ans...
Il ne me reste plus beaucoup de clients, j’en avais une vingtaine en
2000 et il m’en reste le quart, mais ce sont des fidèles. Ce sont des
gens qui sont attachés à une certaine forme de créativité qui leur
correspond, et qui passe par l’argentique. Ils sont attachés à des
méthodes de travail, et de collaboration.
Ces derniers temps, il se trouve que j’ai plusieurs de mes photographes qui ont eu des nouveaux boulots qui semblent durables.
Pouvez-vous nous en citer quelques-uns ?
Pierre Bailly, Yoichiro Sato, Ami Sioux, Giovanna Aresu et, depuis le début, Ronan Guillou (leurs sites sont listés dans mes liens sur mon site).
Avant de travailler chez Granon, vous étiez photographe professionnel ?
Non, pas vraiment. Plutôt amateur éclairé. Mais, en général, quand je fais quelque chose, je le fais de manière relativement aboutie, avec une compréhension très mécanique des choses. Même l'informatique, ironiquement. Bien que je limite l'ingérence des ordis dans le processus créatif, je m'en sers d'une manière plus poussée et technique que le plupart des gens. Ce qui m'a mené, à force de donner des conseils, à faire de la maintenance Mac...
Et généralement dans le domaine artistique, plutôt ?
Oui, voilà. Et j’avais la chance de connaitre un grand tireur, qui de plus était un ami.
Aujourd’hui, vous pratiquez toujours la photo ?
De moins en moins. Avant, je faisais deux ou trois rouleaux par mois, un peu moins maintenant. Le gros de ce qui se fait aujourd’hui me laisse froid et ça bride mon envie de photographier, ce qui est stupide. Je n’apprécie pas la musique ou la photographie créée avec l’intervention de l’ordinateur. Ce n’est pas la présence de l’ordinateur bien sûr, mais le type de produit que ça permet de créer ne me touche pas. Je préfère quand les gens se servent de leur tête, de leurs mains, des accidents...
“Accepter l'idée que certaines photos ne puissent être réalisées...”
En photo comme en musique, ce qui stimule ma créativité n’est pas l’absence de limites de l'ordinateur, ce sont les limites, les fausses notes, les contraintes. C’est pour cela que j’utilise un appareil avec une focale fixe, en l’occurrence un Fuji GA645, un moyen format 4,5×6. Je travaille avec un seul film, le plus "moyen" (Kodak Portra 400), je tire avec des bords noirs et je ne recadre quasiment jamais. Pour moi, la photographie sert à capturer des choses, il faut être là, ce jour-là, avec un appareil et savoir prendre la photo. L’argentique, c’est aussi ça, la petite fierté de se trimbaler un gros appareil, de savoir l'utiliser, savoir gérer la lumière, composer son image, et de ne pas tout rattraper derrière avec un ordinateur. Et, surtout, accepter l'idée que, pour une bête raison technique, certaines photos ne puissent être réalisées...
Du coup vous avez toujours un appareil sur vous ?
Voilà. Je fais en sorte de ne pas risquer de passer devant quelque chose d'extrêmement intéressant, cocasse ou intriguant, spécial, sans avoir un appareil pour le capturer.
Ce n’est peut-être pas un hasard si vous appréciez ce que font vos clients ?
Je ne juge pas mes clients artistiquement, j’ai surtout du respect pour le savoir-faire, l’expérience, la tradition, l’artisanat, dont font preuve les photographes qui travaillent avec moi.
Le savoir-faire et l'expérience ne sont pas indispensables à la création, bien sûr, mais globalement, plus les gens en ont, plus ils peuvent pousser la création dans les limites qu’ils se donnent. Le meilleur exemple pour moi est Picasso : cet homme était époustouflant de savoir-faire classique, mais il était aussi capable de dessiner la colombe de la paix d’un trait de fusain. Les encres de tauromachie sont incroyables aussi, comment, en quelques traits il peut représenter des scènes criantes de vie.
Je fais de la musique depuis presque 30 ans, je faisais même ça avant de faire de la photo, et c’est pareil : ce qui est le plus intéressant c’est apprendre. Ce qui vient ensuite, c’est désapprendre. On peut alors se détacher de son apprentissage, ne plus faire attention et ne plus être esclave de son savoir, et c’est là qu’on est le plus libre. Il ne reste que la créativité. Je ne prétends pas être à ce niveau là ceci-dit ! Mais Picasso est un bon exemple.
Votre activité musicale a une place importante ?
Je joue énormément, je suis à un niveau professionnel dans la
musique, je joue dans quatre ou cinq groupes, en tant que bassiste
principalement et guitariste parfois. Ils sont tous cités dans les
liens, sur mon site. Par ailleurs, je produis et réalise l'album d'un
ami, avec qui je joue aussi. Je pars rarement en vacances, mais je fais
de la musique !
Quand le labo est fermé, c’est souvent parce que je fais un concert ou
que je suis en séance d'enregistrement. A ce propos, c'est amusant de
penser que, comme je n'écris pas de chansons, mon rôle de musicien,
d'arrangeur ou de réalisateur est très similaire à celui de tireur. Un
"finaliseur", en quelque sorte...
Quel est le futur de ce labo ?
Je viens juste de signer pour un grand local à Porte d'Italie dans lequel je pourrais mettre le labo et un vrai studio d’enregistrement. Dans l’esprit de ne rien changer bien sûr. Et j’espère que les photographes qui me restent fidèles (je dis ME restent fidèles car je crois que si je n’étais pas là je ne suis pas sûr qu’ils s’acharneraient tous en argentique…) aient du travail, car quand ils travaillent, je peux travailler aussi.
J’espère aussi que les gens vont comprendre que le numérique est un
outil, et le prendre pour ce qu’il est sans vouloir faire du pseudo
argentique avec (et vice et versa). Je pense que c’est tout à fait
possible que les deux cohabitent sans problèmes.
C’est dans la connaissance des limites de chaque outil que les gens vont
utiliser les deux et que je pourrais avoir plus de travail.
Votre savoir en tant que tireur, vous le transmettez ? Vous avez des assistants ou des étudiants qui viennent apprendre le métier chez vous ?
Je suis souvent sollicité, et malheureusement je suis obligé de refuser pour simple et bonne raison, c’est que je ne travaille que sur rendez-vous. Je ne sais jamais quand je vais avoir du travail. Parfois ça m’arrive de ne rien avoir pendant quinze jours. Dans le labo, je ne bosse qu’à quart temps… C’est même un miracle que je finisse le mois à l’équilibre !
Donc je ne peux pas garantir un stage digne de ce nom, donc je préfère refuser. En revanche, je propose toujours si les gens ont du temps, s’ils veulent voir comment fonctionne un labo indépendant argentique couleur, de partager un moment de travail avec un des photographes. Ce sont des moments intenses et intimes, mais j’ai des relations amicales avec mes clients et ça ne pose pas de problème.
Vous n’avez jamais pensé à donner des cours, développer cette activité supplémentaire et rémunératrice ?
Je pense que je serais capable d’expliquer comment je travaille, mais je ne crois pas que je serais capable de fabriquer une leçon. Par contre, je regrette qu’aucune école de photo ne m’ait jamais proposé d’être intervenant, juste pour y aller et décrire ma réalité du tirage photo.
“Il est bon psychologiquement pour soi de transmettre son savoir”
Contrairement à beaucoup de gens que je connais, je pense qu’il est bon psychologiquement pour soi de transmettre son savoir, et je crois que c’est une erreur totale de croire qu’on pourrait en être dépossédé en le transmettant. En ayant le même appareil, le même film, le même tireur et même ses conseils, personne ne fera jamais les photos d’Avedon.
S’il y avait plus de labos indépendants, nous aurions chacun plus de travail. Aujourd’hui les gens ne connaissent que les comptoirs des grands labos et ne savent pas que nous existons. Nous avons donc tous intérêt à transmettre ce que nous savons.
Je ne veux pas que ce savoir-faire disparaisse, ni pour moi, ni pour
le monde en général, ni pour la photographie en particulier.
L’ordinateur est en train de bouffer la planète entièrement. C’est un
outil formidable, mais à chaque fois que dix personnes perdent leur
boulot quelque part dans le monde, ils sont remplacés par une seule
devant des ordinateurs. Toujours l'ordinateur ! C'est une première dans
l'histoire de l'humanité !!
Si on envisage une seconde qu’une catastrophe vienne à les bloquer, la
face du monde serait changée incroyablement, ça serait le chaos. Je ne
demande pas qu’on retourne à l’âge des cavernes, mais je n’aime pas
l’idée que l’homme perde tous ses acquis et son savoir humain, pour
dépendre autant des machines.
Mais ce n’est pas grave, je ne suis pas très exigeant. Au final, tout ce qui m’importe, c’est de faire des choses qui m’intéressent, avec des gens avec qui j’ai envie de fonctionner, que je respecte et qui me respectent, et d’avoir du temps libre.
Propos recueillis par RD
Liens vers le site du laboratoire de Marc Upson